Les Biens Communaux des "Brosses-Dieu" de l'Ancien Régime à nos jours


Une brève histoire sociale, économique et environnementale

Ancien Régime

Sous l’Ancien Régime, le visage de la campagne française était très différent de celui qu’elle offre de nos jours. C’est ainsi que jusqu’à la fin du 17ème siècle, les clôtures qui font partie du paysage actuel, étaient peu présentes. Cette caractéristique est la conséquence directe d’un droit d’usage appelé « vaine pâture », qui permettait de faire paître gratuitement son bétail en dehors de ses terres, dans les bords des chemins, les friches, les terres nues de leurs cultures, les bois de hautefutaie, les taillis de plus de 4 ou 5 ans. Cette pratique qui pouvait s’appliquer aux terrains privés après la moisson (ou la première coupe pour une prairie), restait en vigueur tout au long de l’année dans les biens communaux. Les biens communaux, terrains communaux, prés communaux, ou communaux tout court, sont, sous l'Ancien Régime, les biens fonciers, le plus souvent forêts et pâturages, que les habitants d'une localité exploitent en commun : ils sont la propriété collective de la communauté et ont permis pendant longtemps aux plus pauvres d'entretenir du bétail (une ou deux têtes maximum) et de survivre même sans posséder de terre.

Les « Brosses-Dieu », d’une superficie de 100ha environ, constituaient l’essentiel des biens communaux de la communauté ou paroisse de Pierrefitte sur Loire1. L’origine de ce bien est aujourd’hui incertaine : il pourrait-être lié à un don d’origine religieuse, effectué au cours du 17èmesiècle, mais sans pouvoir l’affirmer en toute certitude2.

Les communaux commencent à être remis en question au 18ème siècle. On juge alors que de nombreuses terres, plus ou moins laissées à l'abandon, seraient exploitées plus efficacement entre les mains de propriétaires ou de fermiers individuels. Un édit de juin 1769 encourage le partage des « pâtis » accordés aux habitants, sous la forme de mises en fermage exemptées d’impôts. Mais le partage restant financièrement inaccessible aux ruraux les plus pauvres, de nombreuses oppositions empêchent le mouvement d'avoir une grande ampleur.


Epoque révolutionnaire

En l’espace d’une génération, durant la décennie révolutionnaire, prolongée par l’Empire, les bases de l’organisation sociale des campagnes françaises sont profondément remises en cause. L’abolition des droits féodaux dans la nuit du 4 au 5 août est l’évènement fondateur. Il convient cependant de rappeler que seuls sont concernés les droits sur la personne (corvées personnelles, impôts sur la personne tel que la taille personnelle) ainsi que la dîme, impôt prélevé par le clergé. Les autres droits, que le législateur appelait les droits utiles tels « toutes les redevances seigneuriales annuelles en argent, grains, volailles, cire, denrées ou fruits de la terre »3, sont simplement déclarés rachetables, à un prix le plus souvent exorbitant pour les maigres revenus des paysans. Enfin, la propriété foncière des seigneurs non émigrés n’est pas remise en cause. Les biens du clergé sont par contre confisqués et deviennent bien nationaux : l’état procède à leur vente pour résorber le déficit, sans guère se soucier de l’accession à la propriété du paysan moyen, dont les ressources financières sont généralement insuffisantes pour lui permettre de participer aux transactions.

Qu’en est-il des biens communaux ? Le pouvoir révolutionnaire en confie la propriété aux Communes, renforçant par là même le mouvement de remise en question de leur fonctionnement et de leur rôle, amorcé au 18ème siècle. Rappelons que, jusqu’en 1789, la cellule de base de la vie sociale en milieu rural est la communauté d’habitants, qui correspond souvent à la paroisse4. Le 14 décembre 1789, l’Assemblée nationale votait une loi créant les communes désignées comme la plus petite division administrative en France. Toutes ces communes avaient le même statut avec un conseil municipal élu par les habitants et un maire. La propriété des communaux donc passe aux communes, auxquelles la Convention Nationale confie la charge d’en effectuer le partage selon des modalités définies dans le décret du 10 juin 17935.

La délimitation du communal des Brosses-Dieu, conduite sous l’autorité du maire et du Conseil Municipal de la commune de Pierrefitte, aura été un processus long et difficile : il démarre en 1795 et sera jalonné de nombreuses contestations6. Alors que l’affermage des communaux des Brosses-Dieu est approuvé par le Préfet le 7 juin 1801, le partage ne sera achevé qu’en 1819, année de la première adjudication.

19ème siècle

Suite à la délibération du Conseil Municipal de Pierrefitte du 15-10-1816, qui approuve la partition du communal des Brosses en vue d’un affermage aux enchères, et à son approbation du plan géométrique en 14 parcelles, numérotées de A à O le 27-10-1818 (voir figure ci-dessous), la première adjudication s’effectue aux enchères le 2 février 1819.

La superficie des parcelles, qui oscille entre environ 4ha et 18ha, est relativement importante pour l’époque. Cette première adjudication s’adresse essentiellement aux notables, propriétaires confortables, marchands prospères, qui ont les moyens non seulement de payer la location mais surtout de fournir les garanties exigées par la commune dans son cahier des charges (hypothèque sur leur bien complétée d’une caution fournie par un autre notable). Rappelons que les notables sont en outre protégés par le système censitaire7 qui leur assure de fait l’accession aux responsabilités politiques. Il convient de remarquer que le cahier des charges exigé par la commune ne se contente pas de protéger avec soins ses intérêts au plan juridique : il constitue également un modèle de protection environnementale, écologique avant la lettre. Citons pour s’en convaincre le cahier des charges de l’adjudication de 1884, « aux enchères et à l’extinction des feux »8 : « …les adjudicataires seront tenus de clore leurs lots en plants vifs, à un seul rang, plantés à vingt centimètres de distance les uns des autres…tous les fossés qui forment la clôture de chaque lot…seront entretenus et curés par les adjudicataires dans les dimensions fixées par le bail… » ; ces derniers devront en outre, avant leur sortie du bail dans le cas d’ensemencement de leur lot la dernière année, « fumer la terre ensemencée à raison de un char de fumier de mille kilogrammes pour chaque dix ares de terre… ».

Le rapport de forces socio-économique instauré après la Révolution restera immuable durant plusieurs décennies jusqu’à l’adjudication de 1854, pour laquelle mention est faite de tout petits propriétaires parmi les adjudicataires. Cette évolution sociale est bien dans l’air du temps, avec la Constitution de 1855 qui instaure le mode de suffrage universel. Elle se renforcera encore en France après 1870, avec la survenue de la crise agricole qui entraîne une dépréciation de la rente foncière au profit des revenus mobiliers. Ce tournant est aussi inscrit dans l’histoire de Pierrefitte et du communal des Brosses : la mairie est tenue par les « Rouges » à partir de 1875 et la partition des Brosses va être profondément modifiée pour l’adjudication de 1893, sous l’impulsion de l’équipe municipale. Cette dernière décide en effet de partager le communal en lots de 1ha, ce qui permettra à un grand nombre d’adjudicataires d’origines sociales diverses et le plus souvent modestes d’accéder à une plus grande indépendance.

20ème siècle et époque contemporaine

Le début d’émancipation sociale amorcée à la fin du 19ème siècle ne remet pas en cause fondamentalement le statu quo socio-économique de la commune de Pierrefitte, dont le territoire foncier reste « accaparé » par un tout petit nombre de grands propriétaires durant la première moitié du 20ème siècle. L’extrait suivant d’un compte rendu de Conseil Municipal en 1923, intitulé « L’accaparement des terres cultivables par les gros propriétaires fonciers », est édifiant à cet égard9 : « La commune de Pierrefitte a 2381ha de superficie, répartis de la façon suivante : Mr Picard de Granchamp (764ha), Mr le Marquis de Foucault (320ha), Mr Sommer (272ha), Mr Pavin de la Farge (235ha)10, terrains occupés par les constructions (137ha), par les chemins (64ha), appartenant à la commune (86ha). Reste donc 523ha de terrain cultivé par de petits propriétaires qui les exploitent eux-mêmes, ou qui les afferment, ce qui représente approximativement 1ha par habitant en pleine force de travail. Il est indiscutable qu’un ha de terrain ne peut procurer les ressources nécessaires à un habitant pour le faire vivre, et encore bien moins pour l’occuper toute l’année… ».

La transition vers la situation actuelle se fera lentement et progressivement après la seconde guerre mondiale. Les adjudications du communal des Brosses se poursuivront régulièrement au 20ème siècle, qu’elles ponctueront selon une périodicité immuable de neuf années. La figure ci-dessus donne un aperçu de son étendue actuelle et de sa répartition, qui a été sensiblement modifiée, suite notamment à la percée de la route nationale 79, dite RCEA11.


Epilogue

La micro-histoire du communal des Brosses, avec ses particularités locales, n’en est pas moins le contrepoint relativement fidèle de la grande histoire de France : l’une peut reconnaître le reflet de l’autre dans le miroir. L’évolution des communaux de Pierrefitte sur Loire a pour une part non négligeable assuré la cadence de son devenir économique et social. Ils ont procuré à la municipalité un levier d’émancipation sociale, certes modeste au plan quantitatif, mais très significatif du point de vue de l’évolution des mentalités et de la vie politique. Le Conseil Municipal de Pierrefitte vient d’engager une réflexion12 devant déboucher sur la proposition de modes alternatifs d’exploitation des communaux. Le principal objectif poursuivi est de promouvoir la démographie de la commune, tout en veillant soigneusement à préserver son potentiel agricole, qui constitue l’un des fondements essentiels de sa richesse de demain.


1 Les communaux de Pierrefitte comprenaient en outre le « Marais de la Terre » parcelle de 2ha, située à gauche du chemin des Boisseaux (rue du Bac) et sous le château des Launays, ainsi que la « Grand-Croix » terrain d’un peu moins de 3ha, contenant le cimetière actuel.

2 « Pierrefitte-Chroniques du passé » par Jean Clément et Jean-Loup Cornette (1998).

3 Cahiers d’histoire, Revue d’histoire critique : n°94-95 (2005).

4 Il existait environ 40000 communautés en 1789.

5 Le texte du Décret de la Convention Nationale « contenant le mode de partage des biens communaux » est archivé à la mairie de Pierrefitte.

6 Ces évènements sont fidèlement rapportés dans l’ouvrage remarquablement documenté « Pierrefitte-Chroniques du passé » par Jean Clément et Jean-Loup Cornette, déjà cités. Voir aussi les Archives Municipales de l’Allier à Moulins (série N).

7 Le suffrage censitaire, instauré par la Constitution de 1791, est le mode de suffrage selon lequel seuls les citoyens dont le total des contributions directes dépasse un seuil, appelé cens, sont électeurs.

8 Archives municipales de la mairie de Pierrefitte.

9 Extrait du registre des comptes-rendus du Conseil Municipal de Pierrefitte : période 1904-1930 (p. 308).

10 Plus des deux tiers du territoire de la commune de Pierrefitte étaient donc possédés par seulement quatre propriétaires.

11 Des ventes sont également intervenues : par exemple la parcelle numérotée O dans la partition de 1819, parcelle dite le Taillis des Brosses (indiquée sur la figure du plan de 1819), a été vendue en 1865.

12 A l’occasion de la libération récente d’une parcelle du communal des Brosses (parcelle hachurée sur la figure du plan actuel).

Pierre Viktorovitch

Ancien conseiller municipal de Pierrefitte sur Loire